Des Blogueurs DEBLOGUONS
(d'hier, du présent et d'un demain pas si lointain)


PETER HAMMIL    « Nadir’s Big Chance » (1974)


Nadir’s Big Chance – Traduction
(La Grande Opportunité De Nadir)

Je tournais en rond, attendant mon heure pour vous dire ce que je pense de la
musique descendue bien bas,
celle sur laquelle vous avez dansé comme des dingues –
vous savez, franchement, elle est immonde.
Je vais crier, je vais rugir, je vais jouer sur ma gratte jusqu’à vous tétaniser
et vous faire voir trente-six chandelles.

Regardez-les, tous ces imbéciles en costard à paillettes,
papillonnant comme des folles; regardez-moi ces minus
en bottes de cuir compensées, se gavant du gros son…
Je vais piétiner le glamour et gueuler à me sentir mal –
si la guitare ne vous remue pas, la batterie le fera !

Maintenant, c’est ma chance – laissez-moi grimper sur scène,
je vous montrerai de quoi il s’agit; marre de l’imposture,
Trépignez de rage, défoncez les murs et laissez-nous sortir !
Nous ne sommes pas que des simples crétins, perpétuellement abusés,
Alors, venez tous – bousillez le système avec la chanson.

Bousillez le système avec la chanson !

NB – Nadir : Peter Hammill est Rikki Nadir, jeune rocker de seize ans (l’âge qu’avait Hammill quand il a composé cette chanson, c’est-à-dire en 1965; les paroles écrites plus tard). Le mot Nadir correspond à l’opposé du zénith de la sphère céleste; c’est-à-dire le plus bas.

En dos de couverture de «Nadir‘s Big Chance» (d’où vient cette chanson éponyme), Hammill fournit quelques explications sur Rikki Nadir:
« Voilà ce qu‘il en est: assis dans la salle d’attente, j’ai pris peu à peu conscience de ne pas être seul – ou du moins pas unique, ce qui n’a duré toutefois qu’un moment avant que Nadir, mon alter ego, ne prenne possession de mon corps… j’étais à la fois lui physiquement et moi en observateur.
Des lumières; un curieux silence parcellaire; la néo-dématérialisation déroutante, plusieurs fois; une Stratocaster bleu acier tournoyant dans l’espace et Nadir, déboulant sur trois accords en distorsion prodigieux. La présence anarchique de Nadir, cet éternel jeunot de seize ans très envahissant… ayant pris temporairement le contrôle total, je n’ai pu que me soumettre à sa domination, joyeusement, et jouer sa musique; des chansons punk musclées, des ballades à faire pleurer et des entre-deux soul.

Cet album correspond plus ou moins à ce qu’il fait et à ce qu’il est; comment pourrais-je lui ôter de la bouche ce qu’il a justement à dire ? Après tout, dans l’état où se trouve le monde, il y aura toujours de la place pour un autre Nadir ».

Dans la chanson, il fustige le glam rock – ou glitter rock – incarné par T. Rex, Roxy Music, David Bowie, Gary Glitter (qui a commis un des tubes de discothèque les plus primaires de l‘époque), portant sur scène des maquillages outranciers, des vestes et pantalons en lamé brillant et des chaussures d’une hauteur démesurée.

« Nadir’s Big Chance » (le disque, enregistré fin 1974) est considéré comme le précurseur de la révolution punk ayant éclaté deux ans plus tard, aussi bien par les textes que par la musique des morceaux composés par Hammill (qui deviendra une référence de l’icône du mouvement, Johnny Rotten et les Sex Pistols)… Le mot “punk” est même bien présent dans le texte au dos de la couverture, ce qui fait de lui le premier européen à employer ce terme..

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Two Or Three Spectres – Traduction
(Deux Ou Trois Spectres)

« Au diable la musique », a dit le type en costard;
« l’profit, ça m’connais; sans lui, aucun intérêt.
Pourquoi t’barres pas pour écrire des chansons commerciales;
reviens dans trois ans; ça devrait pas être trop long… ».
C’est un mariole et un acrobate,
un grossium du disque à Mayfair (1), dans un appart
équipé d’enceintes Altec sur tout un mur,
d’un Radford et d’un Revox (2); là-dessus, il balance
de la muzak (3) totalement nulle.

« Hey, mon chou, écoute, c’groupe est bourré d’soul…
si on pouvait leur virer ça, j’verrais bien un disque d’or !
On leur colle un look, glamour peut-être, ou sexy,
voire provoquant, ou chic –
et pourquoi pas un style déjanté ? ».
Il signe le produit à deux pour cent,
justifiés par la crise du vinyle; l’augmentation de prix
du yacht qu’il doit louer en vue de sa promo au Midem;
et toutes les réceptions de presse pour les copains du bizness,
qui renversent par terre leur Taittinger (4)
pendant que le groupe sirote dehors une bière anglaise derrière la porte.

Clés de sol, de fa et d’ut sur la feuille,
croches, noires et blanches à la mode…
mais tu ne verras jamais une livre sur la partition !
Il y en a quand c’est purement mercantile,
via le tissu de mensonges sur le pourquoi de la chose !
Il fera de toi une vedette et te rendra si célèbre
que tu voudras ne jamais avoir été connu,
vidé de ce que tu pensais devoir offrir au début.

Ces messieurs de la presse ne sont pas non plus irréprochables;
si tu parles du bilan de la musique,
Ils vont disserter sur tes fringues.
Fais-leur écouter ton nouvel album, ils vont dire qu’il est super (ou non) –
et quand paraîtront les articles, ils tourneront autour
du nombre de chiens que tu as.
Si tu mets en avant l’intérêt humain,
les plumitifs n’en sont que trop disposés à approuver,
à flatter l’ego, à forger les fragiles pour en en faire des dieux.
Mais quelque part, l’intention première passe à la trappe.

Les groupies offrent leur corps, les parasites leur coke;
c’est trop drôle – Quelle blague !
Des créatures felliniennes s’agglutinent autour de la loge:
les corps célestes finissent par avoir leurs lunes.
Dans le culte du surhomme, la musique joue un rôle mineur;
la forme de son nez, la bosse à son entrejambe (5)
Et la coupe de ses vêtements comptent bien plus…
L’âme et les sentiments passent toujours au second plan
derrière l’impact et le grondement d’une basse Fender.
Franchement, la plupart des musiciens m’ennuient, surtout ceux
qui courent après la gloire pour jouir de son aura,
qui donnent au personnage beaucoup plus d’importance
qu’à ses arpèges ou ses sarcasmes,
alors que le bon chemin à suivre, c’est l’autre.

Sur les valeurs selon lesquelles ce monde fabrique ses héros,
Néron restera le plus fameux “violoniste” (6)
parce qu’il drainait une foule maximale,
et son truc de l’incendie a tout simplement été le meilleur.

Nous avons la même chose en concert,
le Zoo Humain:
dix-mille bras levés, comme les Jeunesses Hitlériennes –
on pourrait se croire à Nuremberg, s’ils ne s’adressaient aux grooveurs !
Dix-mille signes de paix saluent l’entrée du sax.
Dix-mille signes de paix,
mais vu de derrière, il en va différemment.

(1) – Mayfair: quartier londonien chic et branché, dans le West End.

(2) – Marques anglaise et suisse, spécialisées dans le matériel hifi; Radford pour les amplis et préamplis, Revox pour les magnétos à bandes.

(3) – Muzak: terme péjoratif désignant une musique de fond sans réelle qualité, encore appelée musique d’ascenseur.

(4) – Taittinger: maison prestigieuse de Champagne produisant des vins très au-dessus de la moyenne… bus par James Bond et SAS dans les romans d’espionnage !

(5) – Codpiece: à l’origine, pièce du vêtement masculin correspondant à la braguette; ici, c’est une coquille placée dans le pantalon et couvrant les organes génitaux; portée sur scène par le chanteur Tom Jones, entre autres.

(6) – Violonist: en fait joueur de lyre… Néron, l’hypothétique responsable du grand incendie de Rome, aurait chanté à ce moment-là, perché sur le toit de son palais, en s’accompagnant avec cet instrument.

NB – Ce morceau, le dernier du vinyle de Peter Hammill « Nadir‘s Big Chance » (sorti en 1975), reste dans la veine du premier titre éponyme, pré-punk. Les paroles, corrosives, s’attaquent là encore au milieu musical.

 

 


DUTHOIT WAZINIAK BRECHET HAUTZINGER   « Don’t Worry Be Happy » (2020)


Le “Bruit” se fait Musique ? ..Tout dépend du contexte. Ici, nous baignons dans des ambiances qui seraient des réminiscences visuelles ou auditives – conscientes ou inconscientes – de la nature et des éléments, nés d’instruments somme toute assez habituels (clarinette, guitare, trompette, batterie-percussions; sans oublier la voix, qui est ici un véritable instrument) mais traités, sortis de leur utilisation conventionnelle au sein de ce quatuor de musiciens (Isabelle Duthoit, Thierry Waziniak, Pascal Bréchet, Franz Hautzinger, dont les initiales donnent le nom au disque) qui sont des bourlingueurs expérimentateurs… expérimentés.

Sept voyages où la mer à son importance. Cet univers liquide peut soit nous porter soit nous engloutir. Le texte poétique accompagnant le disque est sans équivoque; le noir et blanc de l’emballage nous renseigne aussi sur les contrastes (la pénombre, c’est l’immaculé, aurait pu dire le peintre Soulages).

Après la sortie du port – chaotique et convulsée – de “Vibrations plastiques”, nous faisons voile entre ciel et mer vers une destination inconnue… notre destinée ? Les plages oscillent entre calme et densité, évoquant les bruits propres à un navire errant sur un océan d’infini; craquements de boiseries, claquements de voilures et de haubans, grincements métalliques, clapotis des vagues écumantes sous l’étrave, et cris d‘improbables oiseaux. On en arrive à une déconnexion d’avec notre monde physique, plongés que nous sommes dans un univers écologiquement chaleureux ou froid, parfois emprunt de monotonie (“Ils m’appellent Méchante” et “Souffle hybride” en sont un parfait exemple). Le final (“L’angle mort du toucher”) est par moments plus sombre – aurait-on céder au chant des sirènes ? – et nous ramène à une réalité incomplète.
Écoutez donc avec les yeux, lisez en tendant l’oreille, laissez-vous emporter dans l’intemporel, là où les notes font place aux sons dans la pure tradition free.

Mike “The Letter”


PENDRAGON  « Men Who Climb Mountains » (2016)


Le roi Camel est en sommeil, vive le roi… Pendragon ! Leur nouvel opus est paru après trois ans d’absence discographique (la gravure de « P.A.S.S.I.O.N. » remontant à janvier 2011).

«Men Who Climb Mountains»: l’Album concept de la décennie; la quintessence du néo-prog planant, avec un mélange de Floyd par son côté spatial, de Camel dans la ciselure de la six cordes, et de Crimson avec sa noirceur épidermique. Leur son est étrangement proche du trio précité: les nappes d’orgue “wrightiennes” éthérées, la guitare stratosphérique “latimérienne”, et la beauté sombre emprunte de poésie exhalée par le “Roi Pourpre”… émaillées par ces envolées lyriques propres au rock symphonique.

Un album concept disais-je, comme tous les grands de ce monde prog ésotérique ont su en faire au moins un; 64 minutes de bonheur inquiété. Suite à la courte intro “Belle âme” en forme de yin et “Beautiful soul” – le yang – vient le long moment des sucreries acidulées et des enluminures, à partir de “Come Home Jack” (le titre phare ô combien resplendissant); jusqu’à “Netherworld”, qui conclut brillamment, mais trop brièvement, cette heure musicale de pure évasion.

Mais son univers n’est pas simple jeu… Il faut lui accorder du temps et se laisser chahuter au fil de tempêtes apprivoisées pour atteindre des oasis pacifiés, vaguer sur des sables ondoyants et multicolores, finir par s’égarer dans des sanctuaires purifiés, des cathédrales sonores désenglouties.

Si nous devions partir sur une île déserte avec les cent meilleurs albums de toute l’histoire de la musique progressive, celui-là en ferait incontestablement partie; et je me laisserais même aller jusqu’à dire… parmi les dix premiers. Une œuvre majeure et délectable que l’on se doit de posséder dans sa discothèque.

Mike “The Letter”

Ecoute bandcamp

Discographie Pendragon


LEA DEMAN Blackrain CD – (2020)


Notre mémoire résonne encore du très beau disque de Lea Deman « Sings Chet Baker », où elle avait su trouver le velouté nécessaire enrobant les mélodies du Chet.

Pour pouvoir sortir son nouvel opus « Blackrain », Léa a bravé courageusement l’incertitude du semi-confinement. Avec cet album, elle amène une couleur nouvelle mêlant haute énergie et ballades rêveuses…

La production de Guesch Patti est toujours aussi léchée; avec, pour cette occasion, l’apport essentiel de musiciens irréprochables: deux guitaristes complémentaires, Stéphane Guery et l’incendiaire Claude Barthelémy (souvenez-vous de son passage à l’ONJ); Jean-Luc Ponthieux à la basse (acoustique ou électrique) et Eric Groleau à la batterie, assurant un groove chaloupé. Notons que la photo de pochette, excusez du peu, est signée Pierre Terrasson.

Pour ce nouveau voyage, les compositions de Lea Deman sortent des sentiers battus, nous amenant de façon débridée à un blues-pop-jazz flirtant avec un free-rock bruitiste qui devrait faire merveille en concert. En attendant impatiemment la reprise de la vie nocturne (la vraie vie), montez le son, bordel !

Bil Namtra

facebook Lea Deman

site officiel Lea Deman


AL STEWART  CD « Uncorked » (2010)


Une ancienne pépite dans les bacs spécialisés…. L’enregistrement des concerts de la dernière tournée qu’Al Stewart effectua en mai dernier aux États-Unis, en duo avec un certain Dave Nachmanoff.


Le Cd est sorti en juillet 2010, qui regroupe 13 morceaux issus de trois dates. Le chiffre 13 lui porterait-il chance ?… Effectivement, ce disque est un pur joyau pour les amateurs de guitares “folkisantes”.
Al Stewart avait déjà publié plusieurs Cds live, mais un seul en duo (« Rhymes in Rooms », en 1992, avec Peter White). La comparaison est évidente, puisqu’il était là aussi question d’un face à face entre deux guitares acoustiques… disons plutôt côte à côte sur ce nouvel opus. 
Nous sommes en présence d’un objet source de nostalgie, car l’enregistrement studio du morceau le plus récent remonte à 1988 (“Last Days of the Century”, que l’on retrouve sur l’album du même nom)… Si ce n’est “Coldest Winter”, un inédit présent sur un Cd live pirate enregistré en 1996 et carrément introuvable. Il est à noter que durant les 22 dernières années, Al Stewart n’a enregistré que 5 albums studio; son dernier (« Sparks of Ancient Light »), très intéressant et varié, ayant été publié par un label indépendant spécialisé dans la musique folk en 2008.


Mais revenons à “cet obscur objet du délire”, je veux parler du nouveau Cd intitulé « Uncorked » (inutile de traduire, la pochette vous renseignera).
Et pour rester dans l’ambiance vinicole, disons que le contenu de cet album est un savoureux cocktail moitié guitare moitié chant. Al Stewart n’a rien perdu de sa voix nasale si particulière et, malgré ses 65 ans, a su conserver la fraîcheur qui faisait déjà merveille sur « Bedsitter Images » (son premier vinyle paru en 1967, voilà presque un demi siècle).


Je vous disais tout au début “pépite”, et j’ajouterais “alchimie”: Al Stewart a le don de transformer en or les notes qui filent sous ses doigts. Et ici nos deux musiciens ne déclarent pas leurs arpèges, ils les murmurent. Quant aux morceaux plus musclés, point n’est besoin de décibels à grand renfort de watts: les guitaristes électrisent leur instrument par leur seule fougue et leur spontanéité.
Bref, voici un Cd à déguster intégralement un verre à la main (pour faire honneur à Al Stewart, le baladin de l’œnologie) au fil des soirées automnales.

Mike « the letter »

site officiel de Al Stewart

facebook Al Stewart


CIRCLE (Finlande) LP « 6000 km/h » (2015) Petite chronique de l’album


J’avais toujours en mémoire un concert organisé par nos amis de Sonic Protest, dans un lieu ressuscité dans lequel œuvrèrent en leur temps les frères Lumière et le génial Georges Méliès.

Il n’y a pas de hasard: la semaine dernière, chez le disquaire « Le Souffle Continu » (ce temple des musiques improbables, à une encablure du cimetière parisien du Père Lachaise), nous sommes tombés sur le disque « 6000 km/h » de Circle… qui nous a replongé dans la mémoire jubilatoire du concert qui se déroula dans les entrepôts susmentionnés.


On y retrouve effectivement l’indispensable énergie propulsée par les 3 guitares résolument complémentaires encadrées, comme il se doit, par l’impitoyable duo basse-batterie (le V8 Ferrari belle époque bénéficiait d’une telle énergie… Kimi “Iceman” Raikkonen n’a-t-il pas, en son temps, survolé le monde de la F1 ?).
Charmés, pourrait-on dire, brinquebalés par la poésie éruptive du chanteur claviériste qui, pour nous français, n’est pas sans rappeler… un certain Antonin Artaud !
Il y a quelque chose d’infiniment nordique dans cet album, comme si des vikings abreuvés de Sibelius réinventaient le funk de James Brown après un petit séjour chez Motörhead, et un bref week-end passé à Canterbury.

Mais ici, le langage est tout autre. Les 3 guitares, essentielles, se répondent en une dentelle savante qui s’étale inexorablement dans une répétition qui n’est qu’apparente, trompeuse. Des paysages variés défilent les uns après les autres, et on est envoûté par ce qui est tour à tour un rêve et un cauchemar, soulignés par une voix exceptionnelle qui n’y va pas de main morte (oh non !), dans un jusqu’au-boutisme implacable aussi logique que nécessaire. S’agit-il d’un terre gelée, d’un magma en fusion ? Sans doute les deux, tour à tour ou simultanément.
Glacial, mais gare aux brûlures ! La forme free est bien sûr présente; que diable, soyons réalistes !

Et ce tout demande tellement à être vécu sur scène (la vie bordel !), mais surtout écouté à un volume sonore ad hoc… Ils ne nous laissent aucun répit, les bougres, il faut s’accrocher pour les suivre, et ne pas descendre en chemin, il y a trop de virages.Il

Rob Lloyd et Bil Namtra

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